Lésions frontières du sein : quels risques, quelle prise en charge, quelles alternatives ?

Ghazal Adler – Imagerive

Les lésions frontières et les lésions à risque, constituent cette frange de la pathologie mammaire située entre les lésions strictement bénignes et malignes. Leur définition est basée sur le risque relatif augmenté de cancer associé et/ou sur leur potentiel malin incertain . Leur incidence croît depuis une décennie avec l’extension du dépistage. Les lésions frontières regroupent la néoplasie lobulaire, l’hyperplasie canalaire atypique et la métaplasie cylindrique atypique (FEA). D’autres lésions à risques sont la lésion papillaire, la cicatrice radiaire, la tumeur fibroépithéliale ou la lésion mucineuse. Elles soulèvent de multiples problèmes tant de diagnostic que de prise en charge.

Les taux de sous-estimation lésionnelle associées à ces lésions, rapportés dans la littérature, sont extrêmement variables. Le diagnostic microscopique repose sur des critères parfois difficilement reproductibles. Leur prise en charge doit être en fonction du type de prélèvement (microbiopsie guidée par imagerie, macrobiopsie par aspiration ou résection chirurgicale). La recherche s’applique à mieux définir les limites de chaque entité, à en préciser le niveau de risque pour adapter au mieux la prise en charge. Cependant en 2011, il n’existe encore aucun standard de recommandation. Les modes de prises en charge divergent dans la littérature.

Le tableau 1 publié dans la revue de Smith D. en 2010 illustre la disparité des attitudes chez les radiologues et pathologistes les plus reconnus de l’Amérique du nord sur la nécessité ou pas d’une prise en charge chirurgicale de ces lésions. Il résume à lui seul la controverse qui règne dans ce domaine.

Tableau 1 : Smith D. radiol Clin North America 48; 2010

En collaboration avec la Dresse Sophie Diebold–Berger, pathologiste au laboratoire Viollier-Weintraub, nous avons essayé, en reprenant les divers articles de revue, d’adopter pour chaque entité une conduite à tenir raisonnable ; à discuter, cependant, au cas par cas, et à intégrer dans le contexte clinique.

La connaissance partagée de la sémiologie radio-histologique est un des garants de la fiabilité diagnostique des prélèvements percutanés. Seul l’échange d’information entre pathologiste, radiologue et clinicien permet de détecter les faux négatifs potentiels et de définir la meilleure conduite à tenir.

Le choix de traiter les lésions citées ci-dessous est basée sur leur fréquence de survenue dans notre pratique quotidienne. Il ne s’agit pas d’une liste exhaustive.

Lésion papillaire

La lésion papillaire constitue un spectre lésionnel large s’étendant du papillome bénin, au CCIS, au carcinome papillaire solide ou invasif. Il s’agit le plus souvent d’une découverte fortuite. Elle peut causer des écoulements mammelonnaires. Le taux de sous-estimation lésionnelle associé varie de 0 à 29 % selon les équipes.

Une conduite à tenir envisageable serait l’exérèse chirurgicale si un des critères suivants est rempli :

  • lésion palpable
  • symptomatique
  • >15mm
  • présentant des atypies sur la microbiopsie

L’ exérèse par macrobiopsie avec aspiration est une alternative non invasive qui peut être envisagée lorsque la lésion est unique, de petite taille et sans atypie.

Cicatrice radiaire :

Elle correspond la majorité du temps à une lésion stellaire mammographique à centre clair avec des long spicules. Parfois, il s’agit d’une découverte fortuite lors de la biopsie.

Elle présente une association possible avec l’hyperplasie canalaire atypique, le Ca in situ ou infiltrant avec des taux de prévalence variant de 0 à 22 %.

  • Intérêt de procéder à une exérèse chirurgicale en cas d’atypies ou s’il existe une traduction radiologique.
  • Une surveillance clinique et radiologique peut-être envisagée lorsqu’il s’agit d’une découverte fortuite sur la biopsie, ou d’une lésion inférieure à 4 mm.

Figure 1: nodule spiculé du quadrant interne gauche

Lésion fibroépitheliale :

Il s’agit d’une entité qui va du simple fibroadénome, à la tumeur phyllode maligne. En cas de discordance radiohistologique, une exérèse chirurgicale large avec des marges de sécurité est recommandée.

Figure 2: masse hypoéchogène hétérogène de 4,5 cm contenant un pédicule vasculaire. BIRADS 4
A la chirurgie, il s’agissait d’une tumeur phyllode.

Hyperplasie à cellules cylindrique avec atypies ( Flat épithélial atypia) :

Il s’agit d’une lésion épithéliale frontière dont la signification clinique est encore discutée. Dans une majorité de cas, le diagnostic est posé suite au prélèvement d’un foyer de microcalcifications amorphes.Les études moléculaires ont montré des anomalies communes avec les HCA et, le CCIS de bas grade et suggèrent que la FEA serait un précurseur indolent mais non obligatoire de transformation carcinomateuse.

Le taux de cancers associés dans la littérature varient entre 0 à 21 % avec des délais d’apparition allant jusqu’à 25 ans après la découverte initiale. Elle semble être davantage un marqueur de risque.

Il n’existe pas de franc consensus concernant l’attitude thérapeutique.
• Dans les revues de pathologie, une exérèse chirurgicale du foyer radiologique est recommandée.
• Dans les revues de radiologie, une surveillance radiologique est proposée lorsque l’anomalie mammographique a été prélevé dans sa totalité par macrobiopsie avec aspiration.

Figure 3: agrandissement de face microcalcifications monomorphes avec une distribution linéaire à l’union des quadrants inférieurs gauches

Hyperplasie canalaire atypique :

Ce diagnostic est posé sur 31 % des biopsies réalisées dans un contexte de microcalcifications. Elle constitue un facteur de risque relatif de 4 à 6 pour les femmes ménopausées et 10 en cas d’antécédent familial. Le taux de sous-estimation lésionnelle associée est de 19 % en moyenne. L’exérèse chirurgicale est recommandée pour la majorité des équipes.

Néoplasie intralobulaire :

Elle comprend le carcinome lobulaire in situ ( CLIS) et l’hyperplasie lobulaire atypique (ALH). Cette lésion s’observe le plus souvent chez les femmes préménopausées entre 45-50 ans.
Il n’y a souvent pas d’anomalie clinique ou radiologique spécifique. Il s’agit de plus d’une lésion fréquemment bilatérale (30 à 67 % cas) et multifocale (50 à 85 % cas) .
Elle constitue un précurseur non obligatoire de cancer du sein homo ou controlatéral à long terme avec un risque cumulatif à 10 ans de 7,1 %. Elle impose un suivi clinique régulier.
Bianchi et al sur la plus grande série rapportées de macrobiopsies de lésions frontières (26 165 lésions) trouve dans 22 % des cas un potentiel évolutif et recommande l’exérèse chirurgicale.
D’autres auteurs comme Chuba et al recommandent l ‘exérèse s’il existe des critères histologiques ou radiologiques péjoratives :

  • L’association à une autre lésion à haut risque (ex :cicatrice radiaire, HCA)
  • la présence de cellules pléomorphes ou de nécrose
  • si la lésion se traduit radiologiquement par une masse ou une distorsion architecturale. Certaines équipes incluent dans cette liste les microcalcifications.

Lésion mucineuse :

Elle présente un spectre lésionnel continu du kyste mucineux au carcinome mucineux. La sous-estimation lésionnelle est fréquente sur les microbiopsies. L’exérèse est recommandée.

Conclusion :

Une terminologie plus adaptée, associée aux progrès de l’immunohistochimie devrait permettre, dans l’avenir, une standardisation de la prise en charge de ces lésions, en distinguant les lésions de bas grade. Ceci permettrait de diminuer ainsi le surtraitement des patientes.

Une alternative à la chirurgie : l’IRM ?

Une autre manière de sélectionner les patientes serait l’IRM mammaire. Des publications récentes (Pediconi et al ; Linda et al) se sont intéressées au rôle de l’IRM dans la prédiction de malignité des lésions frontières diagnostiquées sur des biopsies à l’aiguille. Des études rétrospectives et prospectives ont comparé la traduction IRM de ces lésions frontières avec l’histologie chirurgicale. Dans 96 % à 98 % des cas, la valeur prédictive négative de l’IRM était vérifiée chirurgicalement. Chaque étude n’avait dans sa cohorte de patientes qu’un faux négatif. Il s’agissait dans les 2 cas d’un CCIS de bas grade.

Ces résultats sont prometteurs et démontre que l’IRM du sein peut apporter une meilleure stratification du risque carcinologique.

Figure 4 : découverte fortuite à l’échographie d’une masse à l’union des quadrants internes du sein gauche dont la biopsie correspondait à une lésion papillaire. L’IRM pré-opératoire démontre adjacent à la lésion papillaire un rehaussement canalaire suspect. L’ histologie de la pièce d’exérèse a démontré un CCIS associé à un papillome.

En résumé :

Voici un tableau récapitulatif non exhaustif concernant la prise en charge de ces lésions frontières. Toute conduite à tenir doit être discutée au cas par cas, dans des réunions de concertations pluridisciplinaires et à intégrer dans le contexte clinique, et l’histoire familiale de la patiente. En cas d’associations lésionnelles, le risque de sous évaluation est augmenté.

CAT= conduite à tenir ; MIBB= macrobiopsie par aspiration

 

Ghazal Adler

E-mail : g.adler@imagerive.ch

Bibliographie :

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